jeudi 27 juin 2019

Great Dixter "goes on"

Treize ans déjà que Christopher Lloyd s'en est allé. Quel chemin parcouru et combien de pistes ouvertes dans l'art des jardins depuis la création de Great Dixter en 1910-1912. L'importance donnée aux prairies fleuries, la "gestion différenciée", l'attrait des plantes sauvages... étaient au début du 20è siècle totalement d'avant-garde.
La maison et le jardin  tel qu'on le visite aujourd'hui
Great Dixter fut d'abord le jardin précurseur de Daisy Lloyd, mère de Christopher, férue de l'oeuvre de William Robinson : un jardinier révolutionnaire à l'époque, passionné par les plantes indigènes et inventeur du"wild garden", le jardin sauvage....
photo de 1905: Dixter avant Great Dixter
Dixter devient "Great Dixter" quand le père de Christopher, Nathaniel Lloyd, ayant fait fortune et jeune retraité des affaires à la quarantaine achète en 1910 à la limite du Sussex un vieux manoir à pans de bois. Il le fait restaurer, agrandir considérablement, installer tout le confort moderne, fait appel pour cela à un architecte de grand talent Edward Lutyens. L'histoire est connue. (pour mémoire, Edward Lutyens après son apprentissage avait créé son propre cabinet à ...20 ans en 1889. Cela laisse rêveur).
La façade Sud de l'aile neuve construite par E.Lutyens s'ouvre sur une terrasse. mai 2019
Daisy Lloyd et son mari sont des fervents du mouvement "Arts and Crafts" qui prône le retour à la nature, l'inspiration des traditions locales et de l'artisanat pour l'architecture, les arts décoratifs... Great Dixter est une des réalisations les plus représentatives en Angleterre.
En guise de marches entre deux niveaux, Lutyens s'est inspiré d'une tradition locale (pour passer d'un champ à l'autre sans permettre l'accès au bétail) : de simples pierres plates incrustées dans le muret

Nathaniel Lloyd est pressé : dès 1911-1912 les travaux d'aménagement du jardin (clôtures, murs, pavages, escaliers ...),  sont lancés sur des dessins d'Edward Lutyens en même temps que les travaux de la maison. Les premiers schémas de plantations sont établis par un "garden designer" renommé pour ses créations Arts and Craft et précisés selon les préférences de Nathaniel et Daisy Lloyd. Une équipe de 9 jardiniers dont un "head gardener" est recrutée.
 
mai 2019. Le "Sunk Garden", jardin en creux autour d'un bassin, dessiné par Nathaniel Lloyd dix ans plus tard. Au fond sur une ancienne grange un figuier palissé
Harmonie de teintes pastel rose, bleu et pourpre : lilas microphylla (?),ancolies et feuillage glauque de grands thalictrum. Au contraire du goût de Christopher Lloyd qui privilégiait les contrastes puissants de couleurs brillantes et vives, un style dans lequel il excellait.
 Dans le même "Sunk Garden", autre douce ambiance printanière
Au cours de la visite on perçoit aisément que le jardin "tourne autour" de la maison principale et se cale entre plusieurs constructions : Edward Lutyens intégra les anciens bâtiments de ferme dans le parti d'aménagement du jardin. Le dessin et les plantations ont toujours été très étudiés et pourtant l'ambiance partout demeure celle d'un jardin de maison de campagne.
 Les anciens séchoirs à houblon depuis la Topiary Lawn
L'escalier qui mène au verger, dessiné par Edouard Lutyens, a été photographié des milliers de fois. J'imaginais devant une vaste prairie plantée de fruitiers s'étendant au loin sur un paysage de campagne. Qu'en était-il à l'époque? Aujourd'hui le paysage est fermé par de grands arbres ; l'escalier paraitrait presque surdimensionné. Les plantes autour de l'escalier ce printemps sont des plantes simples, une ambiance "naturelle" (sans les cactées et succulentes visibles sur des photos estivales). En cela l'élégant escalier de Lutyens a tout pour me plaire...
L'escalier de Lutyens. mai 2019
Great Dixter est "plus qu'un jardin, un mode de vie" (op.cité). Un art de vivre même...Christopher Lloyd, cadet des enfants de Nathaniel et Daisy Lloyd y aura passé la grande majorité de sa vie. (Il y a vécu son enfance et s'y installe définitivement à 33 ans en 1954). Il épaule et prend le relais de sa mère dans la conduite du jardin, s'occupe personnellement de la pépinière et lui succède à sa mort en 1972. 
Son savoir faire horticole en matière de semis et boutures était immense. Et ses audaces en matière d'utilisation des couleurs stupéfiantes. "La vraie nature du jardinage est expérimentale en même temps qu'éphémère". C.Lloyd. Un jardinier téméraire.p.9.


Une allée étroite "secondaire" (dans le High Garden?) attire par des couleurs vives et contrastées que Christopher Lloyd aimait tant.mai 2019
Ce que j'admire et apprécie chez lui par dessus tout, c'est son esprit libre, faisant fi des conventions, une curiosité inlassable, son désir d'expérimenter encore et encore...et son humour qui peut être plein de tact ou féroce! Lire ses ouvrages procure de très bons moments et bien des éclats de rire.

 
Un jardin vertical : arbres fruitiers et lianes d'ornement sont palissés sur les façades de la maison et les murs d'enceinte
Depuis longtemps je connaissais Great Dixter par des lectures et ( "of course") par les très nombreuses photos de la célèbre longue bordure "Long Border" (au sud-est sur le plan du jardin) prises par les plus grands photographes du monde entier.... Je ne l'ai pas photographiée.
Incontestablement Christopher Lloyd m'aura beaucoup appris. Il a encouragé une façon de faire : tenter, essayer, reconnaitre le bénéfice que l'on tire de ses échecs, ne pas se contenter des réussites, chercher de nouvelles idées, tirer profit des semis naturels, dessiner une allée tondue dans une prairie fleurie etc,etc... Prodigue en conseils, son enthousiasme et son énergie étaient communicatifs.
 mai 2019. La prairie fleurie du verger (Orchard) face à l'escalier de Lutyens
L'allée principale qui mène tout droit à la maison traverse une première prairie encadrée de haies d'ifs, le "Meadow Garden" (cf. plan).
Cette deuxième quinzaine de mai la prairie non tondue, si chère à Christopher Lloyd, n'était plus vraiment fleurie. Les bulbes de narcisses étaient "passés", quelques rares camassias fleurissaient encore. Mais quelles justes proportions et l'évidence d'un accord parfait avec le caractère d'une vieille maison de campagne traditionnelle.Un accord pas toujours compris des visiteurs (cf. les textes de C.Lloyd rapportant leurs remarques...).

Le jardin exotique "Exotic Garden", tout juste renaissant après l'hiver. un ton sur ton réussi entre les canes du bambou et le rachis des frondes de la fougère
Le jardin m'a paru simplifié par endroits, épuré, si l'on compare à des clichés anciens. Cela ne m'a pas perturbé puisque par principe le jardin de Christopher Lloyd a toujours été en constants changements et expérimentations. 
Ce printemps 2019 les semis naturels de quelques vivaces (particulièrement généreuses) étaient abondamment mis à contribution, accentuant l'aspect multicolore et pointilliste des jardins Est (un peu répétitifs peut-être). Ou alors je suis allée "trop vite" pour mémoriser les distinctions.
Une (heureuse) surprise, certains lieux du jardin "tout en verts".
Great Dixter est différent de celui auquel je m'attendais, très souvent photographié à l'apothéose l'été, magistralement coloré et fleuri. Le charme reste intact et opère. J'aurais souhaité pouvoir y retourner en 2010 pendant l'été (...après le B..t ?). "Wait and see"  

Pour en savoir plus je recommande plusieurs ouvrages de Christopher Lloyd traduits en français. Entre autres:
*C.Lloyd. Un jardinier téméraire. La Maison Rustique. Flammarion. 1990 (p.231. le chapitre sur les visiteurs est très drôle). 
*Beth Chatto. Christopher Lloyd. Jardins anglais. Correspondance. Christian Bourgois éditeur. 1999
En anglais:
*C. Lloyd. In My Garden. The Garden Diairies of Great Dixter. Bloomsbury. 2010
*Dear Christo. Memories of Christopher Lloyd at Great Dixter.Timber Press. 2010
*C. Lloyd. The well-tempered garden. Phoenix. 2014
*cf. aussi le guide du jardin (plus fourni en anglais) : A Guide to Great Dixter. Great Dixter House & Gardens. 2019

2 commentaires:

Maryline a dit…

Merci beaucoup pour ce très chouette reportage que j'ai dévoré des yeux. Il y a un moment que je recherche ces correspondances entre Beth Chatto et Christopher Lloyd.
Je rêve de voir tous ces jardins hélas y arriverais-je un jour !Je vais également prendre le temps de dévore votre blog que je découvre grâce à votre passage sur le mien dont je vous remercie aussi infiniment. Bon week-end à vous.

Dominique a dit…

Merci Marilyn, ...je vous réponds bien tardivement mais avec gratitude. Compliqué de jongler avec les (ultimes!) obligations professionnelles et l'assiduité d'écriture du blog. J'ai encore dans ma besace d'autres sujets sur les jardins anglais (pour des articles plus courts)- "trop longs" me dit-on -. Des jardins moins célèbres qui furent des découvertes lors de ce voyage riche d'enseignements. 2020 sera plus propice à la régularité et la fréquence des articles. Encore merci à vous. Bon week-end frisquet.