D'emblée, dès la cour d'honneur, le château de Canon apparait comme la création d'une personnalité hors du commun du siècle des Lumières. J.B-J.Elie de Beaumont, avocat au Parlement de Paris (célèbre en son temps pour avoir été, sur la demande de Voltaire, le défenseur des enfants Calas) aménagea château et parc dans les années 1770-1780 selon les goûts de l'époque, à la fois classique et "pittoresque".
La façade sur la cour d'honneur rehaussée et transformée par Elie de Beaumont. L'ancien mur d'enceinte a été abattu, remplacé par une grille laissant voir la longue avenue jusqu'à l'horizon.
Photo C.Toscer
L'avenue qui mène au château, plantée d'arbres et bordée de tapis vert, est longue de près d'1km. Elie de Beaumont fit remplacer les ormes par des tilleuls. Photo C.Toscer
Lors d'un voyage en Angleterre, il visita de grands parcs en compagnie du paysagiste renommé Horace Walpole : Stowe, Windsor, Kew... Il le raconte dans ses lettres envoyées d'Angleterre. Il décrit Kew en détails (oeuvre de l'architecte Chambers) qui le séduit particulièrement, formant "un ensemble très agréable". Quoi de mieux lorsqu'on ambitionne de créer un parc s'inspirant de la nature "dans le goût anglais" (comme il l'écrira plus tard à son maître d'oeuvre) ?
..Jean-Jacques Rousseau, Voltaire.., les tableaux des peintres Hubert Robert, Poussin...On pense à eux inévitablement au commencement de la découverte du parc de Canon, au-delà du miroir d'eau, sur la façade ouest du château.
Le "miracle" du parc de Canon est d'avoir conservé jusqu'à aujourd'hui la
majeure partie et l'essentiel de ce que voulut réaliser Elie de Beaumont : bosquets, bassins, canaux, fabriques. Il fit entourer d'eau l'ensemble du parc et non de murs. La dérivation du cours d'eau voisin lui permit d'aménager un réseau de canaux le long desquels serpentent des sentiers de promenade.
C'est un lieu suscitant la contemplation, le repos, la rêverie. Ce qu'écrit Voltaire sur son domaine pourrait presque s'appliquer à Canon. "J'ai de tout dans mes jardins, petites pièces d'eau, promenades régulières, bois très irréguliers, vallons, prés, vignes, potagers avec des murs de partage couverts d'arbres fruitiers, du peigné et du sauvage". (extrait. Le château de Canon. Maison des champs d'un avocat philanthrope. A.de Mezerac. Saep.1992).
Le parc fut planté d'arbres rares d'essences étrangères alors à la mode : cèdres de Virginie, pins de Russie, platanes d'Orient...
Elie de Beaumont profondément amoureux de la nature aimait y s'y reposer loin de l'agitation parisienne. Il fit aménager une chambre dans plusieurs fabriques : château Béranger, ermitage des fruitiers...et même une incroyable "salle de bains" (aujourd'hui disparue) au bout de la "petite promenade", devant un tournant de la rivière, parce qu'ainsi, disait-il, au chaud dans son bain il pouvait se croire dans le lit de la rivière qu'il contemplait par la fenêtre surbaissée (extrait op.cité).
D'extraordinaires platanes d'Orient, plantés par Elie de Beaumont existent encore
Le pigeonnier de l'ancien château transformé en fabrique
Lors de l'aménagement du parc, l'ancien pigeonnier circulaire empiétait sur le projet d'une des grandes avenues plantées de tilleuls : le pigeonnier a été tronqué et orné d'un décor à l'antique.
Le parc comprend une autre fabrique, la fabrique du Temple devenue Temple de la Pleureuse en hommage à sa femme décédée prématurément. Elie de Beaumont poursuivit l'aménagement encore quelques années jusqu'à sa mort. Il ne vit pas la fabrique du kiosque chinois terminée.
La pérennité du parc d'Elie de Beaumont n'était pas évidente. Lui termina ruiné. Le domaine resta malgré tout dans la famille et fut relativement préservé alors que nombre de parcs, en France et en Angleterre, étaient profondément remaniés au fil des modes par les propriétaires successifs. L'intégralité du domaine de Canon étant classé Monument Historique l'Etat ces dernières années a beaucoup investi pour aider à la restauration.
Il y eut malgré tout quelques destructions : des bâtiments annexes furent démolis par les héritiers d'Elie de Beaumont par souci d'économie. Comme partout des arbres sont tombés lors des grandes tempêtes. Et des dégâts ont été subis lors de la seconde guerre mondiale, le château de Canon en Normandie étant situé à la limite de la plaine de Caen et du Pays d'Auge, à quelques kms en arrière de la côte et des marais de la Dives.
Le "manoir Béranger" (non restauré) : une fabrique construite à partir des restes d'un bâtiment plus ancien
Un second "miracle" bénéficie à Canon : les archives concernant l'aménagement du parc (et du château) ont été épargnées et elles sont considérables : les échanges de correspondance chaque semaine entre l'avocat à Paris et le chef de chantier sur place fournissent une quantité de détails sur les travaux d'aménagement.
Aujourd'hui la promenade dans le parc est un enchantement : les sentiers à l'ombre des extraordinaires et majestueux platanes d'Orient longent canaux et cascades, débouchent sur les fabriques, s'ouvrent sur de longues perspectives croisées. Prévoyant de m'attarder dans le jardin des vivaces des chartreuses, je regrette de ne pas avoir pris le temps d'aller jusqu'au Temple de la pleureuse et au kiosque chinois au-dessus de l'eau.
Les "chartreuses" de Canon ou plutôt "les fruitiers" (nom d'origine) sont intéressantes par leur structure. Les fruitiers étaient sans doute courants au 18ème siècle ("La Maison Rustique" de 1790 en fait une description) mais il n'en existe quasiment plus. (Le nom de "chartreuses"est postérieur : il proviendrait de l'ordre des Chartreux, spécialistes de la culture des arbres fruitiers).
A Canon, le cloisonnement en 13 compartiments multiplie les surfaces propices au palissage des fruitiers en espalier. La hauteur des murs s'abaisse du nord au sud, chacun d'un mètre, réduisant les ombres portées. Les accès en enfilade facilitent la circulation.
Il m'est arrivé de m'y glisser subrepticement étant très jeune, les chartreuses alors à l'abandon, la statue de Pomone seule gardienne des lieux. L'atmosphère si originale évoquait les ruines antiques redécouvertes à la Renaissance ou les jardins romantiques.
Le passage dans les chartreuses termine le parcours de visite du parc. Il n'y a pas motif à s'y attarder. Quelques arbres fruitiers seulement, des tentatives pour "remplir" les compartiments de platebandes de fleurs et de couleurs (afin de plaire sans doute) avec des plantes ordinaires et faciles, comme faire se peut.
Un des rares fruitiers en espalier
On en vient à songer à d'autres chartreuses, celles du château d'Ainay-le-Vieil dans le Berry (18), probablement du 17ème siècle. Parmi l'ensemble classé Jardin Remarquable, les jardins à thèmes des chartreuses, dont un "verger sculpté" aux formes fruitières, méritent à eux seuls le label.
Il n'en demeure pas moins. Le parc du château de Canon est exceptionnel. Pour son intérêt historique et culturel le label Jardin remarquable qui lui a été attribué est plus que légitime. Les visiteurs quels qu'ils soient ne s'y trompent pas et les britanniques y viennent nombreux. Juste retour des choses.
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