jeudi 27 juin 2019

Great Dixter "goes on"

Treize ans déjà que Christopher Lloyd s'en est allé. Quel chemin parcouru et combien de pistes ouvertes dans l'art des jardins depuis la création de Great Dixter en 1910-1912. L'importance donnée aux prairies fleuries, la "gestion différenciée", l'attrait des plantes sauvages... étaient au début du 20è siècle totalement d'avant-garde.
La maison et le jardin  tel qu'on le visite aujourd'hui
Great Dixter fut d'abord le jardin précurseur de Daisy Lloyd, mère de Christopher, férue de l'oeuvre de William Robinson : un jardinier révolutionnaire à l'époque, passionné par les plantes indigènes et inventeur du"wild garden", le jardin sauvage....
photo de 1905: Dixter avant Great Dixter
Dixter devient "Great Dixter" quand le père de Christopher, Nathaniel Lloyd, ayant fait fortune et jeune retraité des affaires à la quarantaine achète en 1910 à la limite du Sussex un vieux manoir à pans de bois. Il le fait restaurer, agrandir considérablement, installer tout le confort moderne, fait appel pour cela à un architecte de grand talent Edward Lutyens. L'histoire est connue. (pour mémoire, Edward Lutyens après son apprentissage avait créé son propre cabinet à ...20 ans en 1889. Cela laisse rêveur).
La façade Sud de l'aile neuve construite par E.Lutyens s'ouvre sur une terrasse. mai 2019
Daisy Lloyd et son mari sont des fervents du mouvement "Arts and Crafts" qui prône le retour à la nature, l'inspiration des traditions locales et de l'artisanat pour l'architecture, les arts décoratifs... Great Dixter est une des réalisations les plus représentatives en Angleterre.
En guise de marches entre deux niveaux, Lutyens s'est inspiré d'une tradition locale (pour passer d'un champ à l'autre sans permettre l'accès au bétail) : de simples pierres plates incrustées dans le muret

Nathaniel Lloyd est pressé : dès 1911-1912 les travaux d'aménagement du jardin (clôtures, murs, pavages, escaliers ...),  sont lancés sur des dessins d'Edward Lutyens en même temps que les travaux de la maison. Les premiers schémas de plantations sont établis par un "garden designer" renommé pour ses créations Arts and Craft et précisés selon les préférences de Nathaniel et Daisy Lloyd. Une équipe de 9 jardiniers dont un "head gardener" est recrutée.
 
mai 2019. Le "Sunk Garden", jardin en creux autour d'un bassin, dessiné par Nathaniel Lloyd dix ans plus tard. Au fond sur une ancienne grange un figuier palissé
Harmonie de teintes pastel rose, bleu et pourpre : lilas microphylla (?),ancolies et feuillage glauque de grands thalictrum. Au contraire du goût de Christopher Lloyd qui privilégiait les contrastes puissants de couleurs brillantes et vives, un style dans lequel il excellait.
 Dans le même "Sunk Garden", autre douce ambiance printanière
Au cours de la visite on perçoit aisément que le jardin "tourne autour" de la maison principale et se cale entre plusieurs constructions : Edward Lutyens intégra les anciens bâtiments de ferme dans le parti d'aménagement du jardin. Le dessin et les plantations ont toujours été très étudiés et pourtant l'ambiance partout demeure celle d'un jardin de maison de campagne.
 Les anciens séchoirs à houblon depuis la Topiary Lawn
L'escalier qui mène au verger, dessiné par Edouard Lutyens, a été photographié des milliers de fois. J'imaginais devant une vaste prairie plantée de fruitiers s'étendant au loin sur un paysage de campagne. Qu'en était-il à l'époque? Aujourd'hui le paysage est fermé par de grands arbres ; l'escalier paraitrait presque surdimensionné. Les plantes autour de l'escalier ce printemps sont des plantes simples, une ambiance "naturelle" (sans les cactées et succulentes visibles sur des photos estivales). En cela l'élégant escalier de Lutyens a tout pour me plaire...
L'escalier de Lutyens. mai 2019
Great Dixter est "plus qu'un jardin, un mode de vie" (op.cité). Un art de vivre même...Christopher Lloyd, cadet des enfants de Nathaniel et Daisy Lloyd y aura passé la grande majorité de sa vie. (Il y a vécu son enfance et s'y installe définitivement à 33 ans en 1954). Il épaule et prend le relais de sa mère dans la conduite du jardin, s'occupe personnellement de la pépinière et lui succède à sa mort en 1972. 
Son savoir faire horticole en matière de semis et boutures était immense. Et ses audaces en matière d'utilisation des couleurs stupéfiantes. "La vraie nature du jardinage est expérimentale en même temps qu'éphémère". C.Lloyd. Un jardinier téméraire.p.9.


Une allée étroite "secondaire" (dans le High Garden?) attire par des couleurs vives et contrastées que Christopher Lloyd aimait tant.mai 2019
Ce que j'admire et apprécie chez lui par dessus tout, c'est son esprit libre, faisant fi des conventions, une curiosité inlassable, son désir d'expérimenter encore et encore...et son humour qui peut être plein de tact ou féroce! Lire ses ouvrages procure de très bons moments et bien des éclats de rire.

 
Un jardin vertical : arbres fruitiers et lianes d'ornement sont palissés sur les façades de la maison et les murs d'enceinte
Depuis longtemps je connaissais Great Dixter par des lectures et ( "of course") par les très nombreuses photos de la célèbre longue bordure "Long Border" (au sud-est sur le plan du jardin) prises par les plus grands photographes du monde entier.... Je ne l'ai pas photographiée.
Incontestablement Christopher Lloyd m'aura beaucoup appris. Il a encouragé une façon de faire : tenter, essayer, reconnaitre le bénéfice que l'on tire de ses échecs, ne pas se contenter des réussites, chercher de nouvelles idées, tirer profit des semis naturels, dessiner une allée tondue dans une prairie fleurie etc,etc... Prodigue en conseils, son enthousiasme et son énergie étaient communicatifs.
 mai 2019. La prairie fleurie du verger (Orchard) face à l'escalier de Lutyens
L'allée principale qui mène tout droit à la maison traverse une première prairie encadrée de haies d'ifs, le "Meadow Garden" (cf. plan).
Cette deuxième quinzaine de mai la prairie non tondue, si chère à Christopher Lloyd, n'était plus vraiment fleurie. Les bulbes de narcisses étaient "passés", quelques rares camassias fleurissaient encore. Mais quelles justes proportions et l'évidence d'un accord parfait avec le caractère d'une vieille maison de campagne traditionnelle.Un accord pas toujours compris des visiteurs (cf. les textes de C.Lloyd rapportant leurs remarques...).

Le jardin exotique "Exotic Garden", tout juste renaissant après l'hiver. un ton sur ton réussi entre les canes du bambou et le rachis des frondes de la fougère
Le jardin m'a paru simplifié par endroits, épuré, si l'on compare à des clichés anciens. Cela ne m'a pas perturbé puisque par principe le jardin de Christopher Lloyd a toujours été en constants changements et expérimentations. 
Ce printemps 2019 les semis naturels de quelques vivaces (particulièrement généreuses) étaient abondamment mis à contribution, accentuant l'aspect multicolore et pointilliste des jardins Est (un peu répétitifs peut-être). Ou alors je suis allée "trop vite" pour mémoriser les distinctions.
Une (heureuse) surprise, certains lieux du jardin "tout en verts".
Great Dixter est différent de celui auquel je m'attendais, très souvent photographié à l'apothéose l'été, magistralement coloré et fleuri. Le charme reste intact et opère. J'aurais souhaité pouvoir y retourner en 2010 pendant l'été (...après le B..t ?). "Wait and see"  

Pour en savoir plus je recommande plusieurs ouvrages de Christopher Lloyd traduits en français. Entre autres:
*C.Lloyd. Un jardinier téméraire. La Maison Rustique. Flammarion. 1990 (p.231. le chapitre sur les visiteurs est très drôle). 
*Beth Chatto. Christopher Lloyd. Jardins anglais. Correspondance. Christian Bourgois éditeur. 1999
En anglais:
*C. Lloyd. In My Garden. The Garden Diairies of Great Dixter. Bloomsbury. 2010
*Dear Christo. Memories of Christopher Lloyd at Great Dixter.Timber Press. 2010
*C. Lloyd. The well-tempered garden. Phoenix. 2014
*cf. aussi le guide du jardin (plus fourni en anglais) : A Guide to Great Dixter. Great Dixter House & Gardens. 2019

samedi 22 juin 2019

Humour british au jardin

Que ce soit dans la vénérable institution qu'est Wisley ou dans le jardin iconoclaste de Christopher Lloyd à Great Dixter j'ai remarqué quelques détails non dénués d'humour. Entre deux longs (trop longs?) articles sur les merveilleux jardins anglais de mon récent voyage, voici quelques "flashes" pris lors des visites. 
A Wisley
 Pendant que les jardiniers s'affairent au loin les brouettes tournent en rond

 
 Un "combi" Wolkswagen customisé incite à protéger l'environnement
 
A l'abri de la pluie ou du soleil, les sièges du Water Lily Pavilion sont prétexte au jeu du passe-parole ou "téléphone arabe" 


 A Great Dixter
 Méridiennes et canapés en bottes de paille sont à disposition pour la sieste
 
Une mini barrière symbolique (et efficace) efface un sentier créé par le piétinement répété des visiteurs

De l'humour? .....Décidément ils sont "crazy" (Wisley)


mercredi 19 juin 2019

Les arbres somptueux des parcs anglais

J'ai beaucoup d'admiration pour les jardiniers paysagistes qui créèrent il y a longtemps, plusieurs décennies, une centaine d'années voire plus, les grands parcs et jardins anglais. 

Ces passionnés étaient à la fois généreux et visionnaires. Ils ne pouvaient que solliciter leur imagination (outre leurs connaissances et leur curiosité) pour anticiper les résultats de leur dessin, l'évolution au fil du temps des jeunes plantations, le comportement de grands sujets venus d'autres continents, les effets produits par leurs associations.  Nous en jouissons maintenant. Quelle leçon! 
 
Plusieurs parcs et jardins du sud de l'Angleterre visités en mai 2019 sont avant toute chose de grands paysages arborés. Les arbres créent des plans successifs, allongent ou réduisent les perspectives. Les associations de différentes espèces choisies pour leurs formes, hauteurs, textures, tonalités différentes ont été visiblement chaque fois soigneusement réfléchies. Les résultats sont spectaculaires particulièrement dans le Sheffield Park.
Sheffield Park. "the Middle Lake" , un des 4 plans d'eau étagés jusqu'au fond de la vallée
Dans ces parcs l'aménagement de plans d'eau à partir de ruisseaux, d'anciens étangs ou marais fut autant d'opportunités de créer des scènes paysagères exceptionnelles.

Les nombreuses espèces d'arbres importées d'Amérique du Nord se remarquent par leur grande hauteur rarement atteinte sur le continent européen.
Saville Gardens en direction du "Spring Wood". Le banc donne l'échelle
En sous-bois les rhododendrons, très à la mode au début du 20ème siècle (par les découvertes successives de nouvelles espèces et les premières hybridations de passionnés) ont été fréquemment plantés. Avec le temps ils ont pris des silhouettes d'arbres aux écorces magnifiques.
Savill Garden. Dorénavant les floraisons tout en haut des arbustes s'admirent ...en prenant du recul
Les jardiniers d'aujourd'hui anticipent le remplacement de sujets en fin de vie ou plantent d'autres petites espèces entre deux. "The show goes on".
Sheffield Park. Un  jeune cornus alternifolia aurea planté dans une clairière
Un bel érable palmatum accueille les visiteurs à l'entrée du parc de Sheffield 



dimanche 16 juin 2019

Le rhododendron luteum, un européen...

Le rhododendron luteum (et hybrides?) était l'arbuste vedette de ces jardins anglais au mois de mai dernier. Planté dans des circonstances différentes, en masse ou interposé entre autres azalées, le long d'une allée ou au coeur d'un massif, nous l'avons rencontré à Saville, Sheffield Park, Scotney Castle Garden, Great Comp... partout magnifiquement en fleurs. 
Le rhododendron luteum planté abondamment dans Sheffield Park (et photo suivante) 
Le rhododendron luteum est un de mes arbustes fétiches : une floraison abondante sans être lourde, un jaune lumineux sans être criard, un feuillage jaune tendre au printemps et bien coloré à l'automne, une plante résistante au froid, aux maladies...
 
Le rhododendron luteum a donc fait partie de mes bagages lors de mon arrivée ici. Ayant déjà été déplacé deux ans auparavant dans mon ancien jardin (cf. l'article du 9 mai 2011), la réinstallation ne posa aucun problème
Le jeune rhododendron luteum du jardin (avril 2019)
C'est Jelena de Belder qui me l'avait fait découvrir dans son ouvrage "Arbustes et arbustes pour parcs et jardins". éd. La Maison rustique 1994. Cette espèce originaire du Caucase et de la Mer Noire, caduque et bien rustique, s'est naturalisée en Europe notamment en Belgique.
   
Au jardin ici en tout début de floraison (avril 2018). Les branches basses du rhododendron émergent de semis naturels du geranium phaeum Samobor


2018. Les feuilles apparaissent quasi en même temps que les fleurs. Il avait moins fleuri en 2017, nombre de boutons ayant été croqués par les chevreuils
Les fleurs parfumées s'ouvrent avec délicatesse

Dans ces jardins anglais les rhododendrons luteum sont beaucoup plus âgés et leurs volumes conséquents. Les admirer ainsi en toute beauté nous a convaincus de leur longévité et de leur vigueur.

vendredi 14 juin 2019

Harold, Vita, Edouard..."The Moat Walk" (Sissinghurst suite)

 Harold Nicholson a dessiné "The Moat Walk" le long d'un ancien mur de fossé dégagé dès 1930. Il l'a prolongé dans le même axe jusqu'à la douve. En forme de croissant une haute haie taillée sépare visuellement "The Moat Walk" du "Cottage Garden". Il ferme la perspective. Cette idée est de Lutyens. "The Crescent" permit de "rattraper" l'axe différent de celui du Cottage Garden et le changement de niveau.  
A l'opposé, depuis la douve, le croissant crée un point focal marqué par un banc :un siège dessiné par Lutyens à l'origine pour son amie Gertrud Jekill. Depuis on voit ce banc copié, imité, dans les jardins du monde entier. Avec l'humour qui le caractérisait Christopher Lloyd pensait que "Lutyens lui-même aurait souhaité ne jamais l'avoir dessiné". (extrait de Christophe Lloyd. In My Garden. p. 141.Bloomsbury. 2010).
 La bordure d'azalées du "Moat Walk" à Sissinghurst en mai 2019

Vita Sackville-West voulait planter la bordure ouest du "Moat Walk" d'un mélange d'azalées aux fleurs carmin, orange, saumon, jaune, écarlate, abricot... et aux feuillages rougissant à l'automne. Harold n'était pas d'accord. Ce fut fait cependant. Vita avait prévu (à raison) qu'avec le temps les buissons seraient assez grands pour masquer les vues depuis le jardin "The Nuttery", tout en apportant le spectacle des couleurs d'automne et une intensité de couleurs chaudes (et de parfums) au printemps. (cf.Tony Lord.op.cité).

Aujourd'hui la plupart des azalées hybrides Knap Hill ou Exbury plantés par Vita dans la bordure du "Moat Walk" sont retournés à leur porte-greffe, le rhododendron luteum.... Et c'est tant mieux.

L'harmonie des teintes est plus sereine, faite de jaunes lumineux, jaunes doux et plus crémeux, loin des discordances "électriques" observées ailleurs dans plusieurs jardins.

lundi 10 juin 2019

Le "Cottage Garden" de Sissinghurst Castle Garden (suite)

Les journées de Vita et Harold commençaient et finissaient par ce jardin, leurs chambres à coucher étant à l'étage du South Cottage. Harold et Vita considéraient le Cottage Garden comme leur jardin le plus intime, au coeur de Sissinghurst décrit par Harold comme "une succession d'intimités". 
La gamme de couleurs des plantes minutieusement voulues et assemblées sont ici celles des couchers de soleil, les oranges, rouges et jaunes, la plupart entre l'orange et l'écarlate. Cela du printemps à l'automne. Des couleurs bien différentes des traditionnels jardins de cottages anglais. 
Le " Cottage Garden" est toujours aujourd'hui épatant (au sens propre). Il évolua déjà du temps de Vita (... friande des dernières nouveautés), peut-être aussi sous l'influence d'une autre célèbre jardinière amie de Vita, Margery Fish...(ensuite en fonction des chefs jardiniers du National Trust qui se relayent depuis la mort des Nicholson). 
Vita n'appréciait pas les plantes quasiment informes en dehors de leur période de floraison. Margery Fish lui montra toute la valeur à accorder aux feuillages, leurs textures et leurs formes pour enrichir et prolonger l'intérêt du jardin.
 
Le "Cottage Garden" en direction du Crescent et du "Moat walk"
Les jolies seulement en fleurs se glissent entre des plantes intéressantes sur la durée, aux formes puissantes et contrastées. Dans le "Cottage Garden" les feuillages et leurs nuances de vert jouent un grand rôle : les glaïves chartreuse des crocosmias, les rosaces argentées des molènes, le fenouil bronze, le feuillage glauque des asphodèles, les larges feuilles palmées de l'hedychium densiflorum.... 
C'est une des raisons pour lesquelles j'aime tant le Cottage Garden. Au printemps ce jardin déroule une tapisserie, comme je l'ai l'observé cette année, et à l'automne, dans mon souvenir, il devient exubérant, très joyeux même par temps gris et déjà frais.
Depuis l'époque de Vita et Harold, le "Cottage Garden"a changé. Quelques arbres plantés à l'origine en bordure ont disparu, emportés par une maladie ou une tempête. Certaines vivaces ayant pris une place considérable ont été réduites (thalictrum flavum sp.glaucum, alstroemeria).
Les fruitiers palissés rehaussent la haie, écran entre le verger ("The Orchard") et le Cottage Garden. Au premier plan, reconnaissable, le thalictrum flavum sp.glaucum 

L'assortiment de plantes a été diversifié  : les giroflées ont été introduites après la mort de Vita, la gamme des tulipes élargie, celle des iris, des pavots, des euphorbes aussi : en 1959 Vita disposait seulement de la (superbe) euphorbia griffithii. Les euphorbes sont un thème récurrent maintenant du Cottage Garden, au printemps et à l'automne : e.cornigera, e.sikkimensis,, e.palustris, e.polychrome Major,  e.characias sp.wulfenii...
Les dahlias était un choix d'Harold pour l'automne, comme l'arctotis "Mahogany" : une marguerite originaire d'Afrique du sud, non rustique, qui fut plantée dans la bordure au pied du cottage. La gamme des dahlias s'est étoffée au fil des années. 
L'été les sauges sont une des valeurs sûres du "Cottage Garden", dont la s.fulgens. Les achillées aussi (Vita cultivait déjà l'a. Gold Plate). Quelques lys (peu durables) sont présents dont lilium henryi, précoce et de longue floraison, d'un orange doux. Les jardiniers de Sissinghurst ont aussi sélectionné les plus belles molènes parmi les semis (verbascum v.olympicum ou v.bombyciferum). 
Comment faire perdurer l'oeuvre des créateurs? Les correspondances entre Vita et Harold, les articles écrits par Vita (des romans aussi. cf "L'héritier" traduit et paru en 2019. éd. Autrement littérature), les souvenirs de leur fils Nigel et de ceux qui les ont connus contribuent à entretenir la connaissance de "l'esprit" de Sissinghurst, à communiquer leur sensibilité et créativité. 
Les jardiniers du National Trust s'efforcent ainsi de reproduire intentionnellement des "accidents" qui plaisaient tant à Vita : (faux) semis naturels d'ancolies préservés entre des dalles, vigne vierge grimpant ("spontanément") à l'assaut d'un if...
Dans la "Forecourt" en mai 2019, le ton est donné : un semis d'ancolie glissé entre des dalles s'accorde à merveille au bleu du romarin et à celui d'une vasque Renaissance. 
 (Source documentaire : Tony Lord. Gardening at Sissinghurst. National Trust. éd.Frances Lincoln.1995). 

Le "Cottage Garden" à Sissinghurst

J'étais impatiente de revoir  Sissinghurst Castle Garden, longtemps après et à une autre saison (ma première visite avait eu lieu en septembre).  Aux prémices de l'automne 1996 le "Cottage Garden" était bluffant : ses couleurs chaudes et fortes allaient si bien à la lumière dorée de la saison. Il avait été "mon préféré" lors de cette première visite (en second au palmarès les bordures pourpres au nord et est de la première cour "Top Courtyard").
Ce mois de mai 2019 le "Cottage Garden" aussi lumineux qu'en début d'automne
Sissinghurst magnifie définitivement la couleur, LES couleurs avec des associations on ne peut plus subtiles dans les différentes séquences. Le Jardin blanc planté en 1950 est de longue date réputé...(presque le seul en fait, c'est dommage). Diviser le jardin en "chambres" plantées d'une gamme de couleurs fut décidé dès la création du jardin par Harold Nicholson et Vita Sackville West. Vita avait acheté le domaine en 1930. Le couple entreprit aussitôt de le restaurer et l'aménager. Harold Nicholson étant le "garden designer" (aidé de son ami Edwin Lutyens, encore lui) et Vita passionnée de plantes se chargeant des plantations. Encore que. Harold intervint à de nombreuses reprises (cf. l'abondante correspondance Vita-Harold) pour demander ce que Vita souhaitait planter avant de dessiner ce qu'il avait en tête ou pour résoudre des problèmes que se posait Vita.
Le plan détaillé du jardin. Extrait de Tony Lord. Gardening at Sissinghurst. National Trust

"The Cottage Garden" est un clos orienté plein sud devant le South Cottage. Au-delà la longue promenade "The Lime Walk"sépare les jardins de la campagne. A l'ouest du "Cottage Garden" se situe le Jardin de roses et vers l'est la promenade des azalées "The Moat Walk" ou littéralement la promenade de la douve (cf. le plan ci-dessus). "The Moat Walk" illustre bien le parti de création des jardins de Sissinghurst, composés "à quatre mains". J'y reviendrai. 

Vita fit l'éloge d'Harold dans un article écrit pour la RHS en 1953: "Harold Nicholson aurait pu être un "garden-architect" (dans le texte) dans une autre vie. Il a un goût naturel pour la symétrie (...) le talent pour créer des points de mire ou rapprocher des vues pourtant à longue distance  (...). Nous étions d'accord sur ce que devait être le parti général du jardin : une combinaison de larges axes de promenade et d'intimes petits jardins géométriques. Il y aurait un strict formalisme du dessin avec le maximum d'informel dans les plantations."

Le caractère des éléments préexistants,- murs, enclos, bâtiments d'un ancien manoir Tudor-, inspira le dessin et l'atmosphère des  jardins. Leur personnalité résulte aussi du mode d'habiter très particulier de ce couple non conformiste, les pièces à vivre au quotidien étant réparties dans plusieurs bâtiments :  la grande bibliothèque et les salons dans la maison principale, la salle à manger dans le presbytère ("Priest'st House"), le bureau de Vita et sa bibliothèque dans la Tour, les chambres à coucher dans le "South Cottage". 
De même les différentes parties du jardin étaient-elles des pièces à vivre : le "Top Courtyard" un hall d'entrée, le "White Garden" une salle à manger, le "Cottage Garden" un autre salon pour Harold. 
Le salon de Harold devant le South Cottage orienté plein sud
A l'aube de la deuxième guerre mondiale le caractère de chacun des jardins était en place sauf le "White Garden" devant le presbytère "Priest'st House" (et la pelouse de thyms près du jardin d'herbes aromatiques, curieusement implanté...au plus loin des bâtiments, à l'extrémité sud de la douve). 
 Après la guerre, le jardin fut réinvesti et enrichi. Ce fut le commencement de sa notoriété (6000 premiers visiteurs en 1959), un succès grandissant jusqu'à la mort à Sissinghurst de Vita en 1962 et d'Harold en 1968.  L'année précédente Sissinghurst Castle Garden avait été transféré au National Trust par leur fils et héritier Nigel Nicholson. Une autre histoire commençait. Elle se prolonge aujourd'hui. 

Aurais-je oublié le "Cottage Garden" ? Que nenni. J'y reviendrai dans le prochain article. Il me semblait important de poser d'abord le contexte de ce merveilleux jardin.  
(source: Tony Lord. Gardening at Sissinghurst. National Trust. éd.Frances Lincoln.1995).   

vendredi 7 juin 2019

Saville, Sissinghurst, Great Dixter, Sheffield Park...il est encore temps!

L'opportunité était trop belle, poussée par l'urgence (sans cesse reportée....) d'un b...xit qui joue à l'arlésienne. Revoir Sissinghurst Castle une vingtaine d'années après, découvrir "en vrai" des grands jardins (connus seulement par des lectures et photographies), d'autres ignorés jusque-là, et même "la Mecque" des jardiniers anglais, Wisley de la très honorable RHS.  En cette fin du mois de mai 2019 une virée de plusieurs jours au sud de Londres, d'ouest en est, ne fut qu'une succession de bonheurs dont raffolent une grande partie des jardiniers : visiter des jardins anglais.
Sissinghurst Castle Garden...vingt trois ans après et cette fois au printemps
Le "garden design" de chacun prime sur toute chose, sa personnalité et sa cohérence, l'atmosphère qui s'en dégage (reflet de son créateur voire ...de ses successeurs), le plan avec les perspectives et les proportions. La composition souligne les différentes séquences par un changement de rythme (les lieux où il est suggéré de se poser ou au contraire de se faufiler, ou ralentir le pas dans une grande allée...), les changements d'ambiance, de tonalités (si l'on se souvient clairement des différentes séquences après la visite, c'est bon signe...). 
Il est bon visiblement de le répéter : toujours commencer par observer le cadre général et la structure du jardin, percevoir l'esprit et l'impression qu'il veut donner avant de se pencher et "baisser votre nez vers le sol et flairer dans le détail les plantes qu'il contient" (C.Lloyd. cf. ci-après). Et avant de mettre l'oeil sur le viseur de l'appareil photo...
Scotney Castle Garden. Le jardin au pied des ruines de l'ancien château Tudor

Je suis revenue de ce voyage le regard encore aiguisé en poussant plus loin l'analyse des scènes de jardins : "j'aime beaucoup, je n'aime pas, oui mais pourquoi?" L'éminent jardinier Christopher Lloyd ne conseillait pas autre chose. Dans les chroniques de son jardin (In my garden. The Garden Diaries of Great Dixter. éd. Bloomsbury.2010 : recueil d'articles choisis parus dans le magazine "Garden Life"), Christopher Lloyd rassure et "décomplexe" chacun d'entre nous :"Ne soyez jamais découragés du fait que le jardin que vous visitez semble si différent dans son échelle ou éloigné de ce que vous pouvez tenter chez vous (...). D'abord il y a presque toujours des détails de plantations instructifs, de bonnes associations de plantes dont vous pourrez vous inspirer. Surtout nul besoin d'émulation ou d'esprit de compétition pour profiter d'un jardin. Appréciez le lieu tel qu'il est, dans l'instant." (op.cité.p.71).
L'entrée de Great Dixter, rendu célèbre par Christopher Lloyd, jardinier écrivain
Et donc je partagerai dans les prochains articles des impressions, coups de coeur et leçons tirées de ma récente promenade dans ces jardins anglais du West Sussex et du Kent.
Le charme intact de la campagne anglaise et des jardins de cottage...(Tudeley. Kent)
 

mercredi 5 juin 2019

A nouveau le printemps...

Mars, avril, mai...les semaines et les mois du printemps ont passé en accéléré et le jardin a dû pratiquement "se débrouiller" tout seul.
 La floraison fidèle et somptueuse des rhododendrons âgés d'une trentaine d'années
De toute manière la patience est de mise : donner le temps à toutes les jeunes plantations, arbres et arbustes, faites depuis le commencement du jardin (entre 3 et 5 ans), de vraiment s'installer.  Et comme ce jardin se veut "sauvage", j'ai déculpabilisé...sans pour autant cesser de le surveiller du coin de l'oeil et intervenir au moins en cas d'urgence... quand j'y pouvais quelque chose.
Ainsi les températures qui ont fait du "yo-yo" (trop chaudes trop tôt) ont nécessité pour les plus jeunes sujets quelques arrosages précoces. J'ai aussi pris le temps de distribuer du Bochevo systématiquement au pied de tous les arbustes, jeunes et anciens. Et les protections contre les différentes prédations des chevreuils (grignotage d'écorces, jeunes pousses de rosiers etc...) ont demandé un suivi constant (hélas dans certains cas plus réactif que préventif)... C'est fou ce que les chevreuils sont curieux et friands de nouveautés. 
Les 2 camelias rouges hérités de l'ancien jardin, demi-double et double, qui furent plantés côte à côte en même temps que les rhododendrons, font aujourd'hui 4m de haut
 Mais le jardin a surtout subi (comme tout l'environnement ici) et pour la deuxième année consécutive une  terrible attaque a priori de la "tordeuse verte du chêne", plus virulente encore qu'en 2018.
Une mal nommée : cette année en avril la petite chenille verte s'en est pris, outre aux chênes, à pratiquement tous les végétaux caducs du bas du jardin. Serait-ce une mutante ou alors une autre espèce?...Toujours est-il que cette petite chenille visible au revers des feuilles a tout dévoré. A commencer par les arbres puis les arbustes: le liquidambar, les noisetiers, les pommiers (alors quasiment en fleurs), merisiers, puis (en descendant par de longs fils de soie) les rosiers, amélanchiers....la liste serait trop longue. Les jeunes pousses, bourgeons, boutons à fleurs et feuilles tendres ont été en un temps très bref (quelques jours à peine) entièrement détruits jusqu'à la base. L'ensemble a pris rapidement une mine dramatique, désespérante. Je n'y pouvais rien et il fallait seulement ne pas se décourager et espérer.
Etonnament aucun des cornouillers n'a  été touché (cornus controversa, c.officinalis...), ni les rhododendrons caducs (r.luteum, canescens, peryclimenoides) sauf exception. Les érables japonais non plus, ni les hydrangeas. Aucune vivace, fougère (alors en pleine pousse) n'a été touchée..
 Dryopteris atrata (ou cycadina)
Il aura fallu attendre un mois (d'inquiétude) et les bonnes dernières pluies pour que de nouvelles feuilles apparaissent sur les végétaux, d'abord celles du liquidambar. Tous maintenant "repartent". Quasi un nouveau printemps, ouf ! Parait-il, ces bestioles migrent ailleurs la troisième ou au pire la quatrième année.L'espoir fait vivre.